Investir dans la science pour le Bassin du Congo

Investir dans la science pour le Bassin du Congo

Plan concis en sciences et en formation

«Nos connaissances sur les forêts majestueuses de l’Afrique centrale sont gravement défaillantes. Le manque d’investissement est l’obstacle à la sauvegarde de ces précieux écosystèmes. Surmonter cet obstacle et l’avenir du deuxième ‘grand poumon vert’ de la planète sera plus radieux.«

Eve Bazaiba Masudi

Ministre de l’environnement et développement durable, République démocratique du Congo.

Jules Doret Ndongo

Ministre des forêts et de la faune, République du Cameroun.

Rosalie Matondo

Ministre de l’économie forestière et du développement durable, République du Congo.

Arlette Soudan-Nonault

Ministre de l’environnement, du développement durable et du bassin du Congo, République du Congo.

Lee J. T. White

Ancien Ministre des Eaux et Forêts, de la Mer, de l’Environnement, République Gabonaise.

Source.

Résumé

Le Bassin du Congo fournit de précieux services à l’humanité, que ce soit à l’échelle locale, régionale ou mondiale. Pourtant, nous ne savons pas bien comment fonctionne la deuxième plus vaste forêt tropicale au monde, ni comment elle pourrait fonctionner dans un monde en rapide mutation. La région est forte d’un potentiel considérable mais inexploité, en raison d’un manque de formation et de ressources pour les scientifiques.

Si elle venait à être financée, l’Initiative Science pour le Bassin du Congo remédierait à cette situation.

En réalisant de nouvelles mesures pour comprendre de façon globale le système climat-forêt-eau-société, et en formant une nouvelle génération de scientifiques, nous allons produire les données et l’expertise nécessaires pour gérer le Bassin du Congo d’une manière qui profite aux populations locales et à l’humanité toute entière.

Dans la région comme ailleurs, il est plus que souhaitable que le développement ne s’accompagne pas de destructions. Or, pour tracer une nouvelle voie de développement, il est primordial d’investir dans la constitution d’un riche savoir scientifique permettant de mettre en lumière toute la valeur du bassin du Congo et ses vulnérabilités, et d’envisager différents avenirs pour la région. Ce document de réflexion présente le plan de renforcement des capacités et des connaissances scientifiques de l’Initiative Science pour le Bassin du Congo (CBSI), dans l’optique de stimuler et d’orienter les investissements nécessaires pour mieux comprendre cette région unique au monde, un prérequis indispensable à sa gestion éclairée.

Le CBSI est un projet à faible risque

Les scientifiques impliqués ont produit de nombreux travaux mettant en exergue la valeur et les vulnérabilités de la région, et dans le passé l’utilisation de ce modèle a permis de transformer les connaissances et les capacités scientifiques en Amazonie.

Le CBSI est un projet à d’innombrables avantages

La protection du Bassin du Congo et son développement durable reposent sur des données de qualité, sur des analyses solides et sur la transmission rapide des connaissances acquises aux décideurs politiques et à la société civile, et c’est là l’objet de notre programme de recherche et de renforcement des capacités.

Plan de science et de renforcement des capacités

Le Bassin du Congo et ses forêts contiguës constituent le deuxième plus grand réseau de forêts tropicales et de rivières de la planète. Cette forêt tropicale et les écosystèmes connexes s’étendent sur plus de 240 millions d’hectares en Afrique centrale. Quelque 80 millions de personnes en dépendent directement pour leur subsistance, dont bon nombre ont de faibles revenus et sont vulnérables aux chocs économiques et écologiques. À l’échelle régionale, il apparaît de plus en plus certain que ces forêts génèrent des précipitations qui retombent jusque dans le Sahel et sur les hauts plateaux éthiopiens : ce sont ainsi 300 millions d’Africains en plus vivant en zone rurale qui en dépendent.

Par ailleurs, les forêts d’Afrique centrale abritent des centaines d’espèces de mammifères, des milliers d’essences d’arbres et des centaines de milliers d’espèces d’insectes et autres petits organismes, dont beaucoup n’ont pas encore été décrits par les scientifiques. Cette biodiversité foisonnante englobe des espèces emblématiques telles que l’éléphant de forêt d’Afrique, le gorille et nos plus proches cousins, le chimpanzé et le bonobo. À l’échelle mondiale, ces forêts contribuent de manière cruciale à réguler le climat de la Terre : les forêts d’Afrique centrale intactes captent plus efficacement le carbone de l’atmosphère que n’importe quel autre écosystème.

Néanmoins, ces forêts sont souvent menacées par le développement des communautés locales et des États : la République démocratique du Congo affiche ainsi le deuxième taux de déforestation tropicale le plus élevé au monde. Dans la région comme ailleurs, il est plus que souhaitable que le développement ne s’accompagne pas de destructions. Or, pour cela, il est primordial d’investir dans la constitution d’un riche savoir scientifique permettant de mettre en exergue toute la valeur du bassin du Congo, ses vulnérabilités, et ses répercussions sur les populations locales. Il est primordial que ces informations soient largement diffusées et bien comprises par les décideurs et les parties prenantes, ce qui implique d’investir dans les personnes, le matériel, les infrastructures et les institutions.

Malgré son importance pour l’humanité et la planète, le Bassin du Congo suscite peu d’intérêt par rapport aux forêts tropicales d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est. Les sciences et les scientifiques pâtissent d’un sous-investissement chronique. À titre d’exemple, selon le dernier rapport du GIEC, l’Afrique centrale est l’une des deux seules régions au monde pour lesquelles on ne dispose pas des données nécessaires pour évaluer les occurrences passées d’épisodes de chaleur extrême. Quant à ce que l’avenir réserve, on ignore de quelles manières la déforestation et le changement climatique pourraient interagir, ou s’ils pourraient entraîner un dépérissement massif des forêts comme en Amazonie. Nous avons besoin de nouveaux jeux de données et de nouvelles analyses de toute urgence.

En raison du manque d’investissements dans les capacités scientifiques, seuls quatre experts choisis comme auteurs pour le GIEC à l’occasion du sixième cycle d’évaluation en cours sont originaires de pays d’Afrique centrale, soit seulement 0,5 % du total (dont aucune femme). De plus, ce sont généralement des scientifiques extérieurs à l’Afrique qui dirigent les grandes analyses sur les populations, le climat, les forêts ou la biodiversité du Bassin du Congo. Il est urgent de mettre en place de nouveaux programmes pour former des scientifiques de niveau master ou doctorat provenant de la région du Bassin du Congo.

Crédit image : Fiston Wasanga HQ/CongoFlux

Face à ces besoins, les ministres de l’Environnement des pays d’Afrique centrale et des scientifiques de renom réclament des investissements massifs dans la connaissance scientifique du Bassin du Congo et dans le renforcement des capacités scientifiques à cet égard. Leur appel s’inspire de l’expérience à grande échelle sur la biosphère et l’atmosphère en Amazonie (Large-scale Biosphere-Atmosphere Experiment, LBA). En investissant dans des initiatives de mesure portant sur le climat et les forêts dans la région, et en formant des centaines de scientifiques sud-américains, ce programme à plus de 200 millions de dollars s’étalant sur une décennie et rassemblant 120 projets coordonnés a bouleversé la connaissance scientifique des forêts tropicales humides du Brésil et notre compréhension de l’Amazonie. 1

En février 2023, des scientifiques du Bassin du Congo ont rencontré les architectes de la LBA à Libreville, au Gabon. À cette occasion, les 49 scientifiques ont décidé de créer l’Initiative Science pour le Bassin du Congo pour orienter des investissements vers une meilleure compréhension du fonctionnement du Bassin du Congo et vers la formation de centaines de scientifiques issus des pays du Bassin du Congo. 2

Il faut qu’une nouvelle génération de professionnels apporte sa contribution scientifique à l’élaboration des politiques et actions innovantes dont ont besoin les pays du Bassin du Congo pour se développer sans détruire, et notamment pour concrétiser leurs Objectifs de développement durable, leurs Contributions déterminées au niveau national en ce qui concerne des actions liées au climat, leurs plans nationaux de protection de 30 % des terres et des océans au titre du Cadre mondial de la biodiversité, et afin d’améliorer leurs politiques de santé, par exemple de lutte contre les zoonoses.

Ce document de réflexion présente le plan de science et de renforcement des capacités de l’Initiative Science pour le Bassin du Congo (CBSI), dans l’optique de stimuler et d’orienter les investissements nécessaires pour mieux comprendre le climat, l’hydrologie, la végétation, la faune et les cultures du Bassin du Congo. Cette connaissance du Bassin du Congo en tant que système socio-écologique fonctionnant comme une entité régionale au sein du système Terre est indispensable pour la prise de décisions et d’actions aux niveaux local, national, régional et international, afin de mieux gérer cette région unique au monde.

Le CBSI a été pensé pour orienter, coordonner et servir de cadre aux gouvernements, aux universités, aux philanthropes, aux ONG et aux autres investisseurs, afin qu’ils puissent personnaliser les programmes existants et financer de nouveaux projets fonctionnant en symbiose. L’objectif est de mieux comprendre l’écosystème du Bassin du Congo et ses populations pour que les institutions actuelles, fortes de ces nouvelles connaissances, puissent améliorer leurs politiques et leurs actions à travers la région et à l’échelle mondiale en vue d’encourager un développement qui ne s’accompagne pas de destructions.

Questions Clés

La réunion scientifique sur le Bassin du Congo qui s’est tenue à Libreville a débouché sur un consensus autour des questions prioritaires de l’agenda scientifique pluridisciplinaire du CBSI :

1) Comment fonctionne le Bassin du Congo en tant qu’entité physique régionale, en quoi est-il influencé par le système Terre et comment l’influence-t-il ?

Comment les écosystèmes terrestres et d’eau douce, leur biodiversité et le climat du Bassin du Congo ont-ils évolué dans le passé, quel est leur état actuel et comment seront-ils amenés à évoluer ?

Comment ces écosystèmes dynamiques, leur biodiversité et le climat du Bassin du Congo interagissent-ils avec les activités humaines locales, régionales et mondiales ?

Comment les données scientifiques peuvent-elles contribuer à des usages des terres qui soient pérennes et résilients au changement climatique, de façon à améliorer la santé, à éliminer la pauvreté, à stimuler la prospérité économique et à atteindre d’autres objectifs de développement durable dans la région ?

Aperçu du plan de science

Pour répondre à ces questions, il nous faut comprendre ce que nous appelons le système climat-forêt-eau-société, y compris les grands processus à l’œuvre dans ce système. Nous devons évaluer l’environnement physique, chimique et biologique passé et présent, les cycles biogéochimiques et les environnements socio-économiques du Bassin du Congo. Une modélisation des différents avenirs possibles pour la région sera ensuite effectuée. En visualisant plusieurs scénarios futurs, dont les avantages et inconvénients liés à chacun d’eux, notre travail scientifique peut aider les décideurs politiques et les parties prenantes à faire des choix de gestion plus éclairés.

Le Plan de science peut être résumé en trois volets : (1) mesures extensives à travers la région, et données et modèles obtenus par télédétection afin d’extrapoler ces mesures à la région, en vue de décrire le système et son comportement ; (2) mesures intensives sur un petit nombre de sites pour mieux comprendre les mécanismes du système, à la fois dans des zones peu perturbées et dans des paysages de production socio-écologique exploités de façon plus intensive ; (3) associer les mesures extensives et la compréhension mécanique détaillée issue des mesures intensives pour produire plusieurs modélisations de l’avenir de la région, qui seront transmises aux décideurs politiques, aux parties prenantes et à la société civile en général.

Nous utilisons le terme « Bassin du Congo » de façon inclusive pour désigner les forêts tropicales humides et adjacentes d’Afrique centrale, les savanes, tourbières, zones humides, mangroves, cours d’eau, lacs et autres écosystèmes de la région. Nous employons souvent le terme « forêts » pour désigner l’ensemble des écosystèmes du Bassin du Congo. Nous sommes inclusifs sur le plan géographique, dans le sens où les régions d’études climatiques et, pour partie, hydrologiques couvrent une zone bien plus vaste que la seule région du Bassin du Congo.   Les pays où se situent les forêts tropicales humides d’Afrique centrale sont, de la plus grande à la plus petite superficie de forêts humides : la République démocratique du Congo, le Gabon, la République du Congo, le Cameroun, la République centrafricaine et la Guinée équatoriale. La portée de notre projet ne se limite pas à ces pays, car les processus à l’œuvre dans le Bassin du Congo, tels que l’hydrographie du bassin versant, le transport de  l’humidité atmosphérique ou encore les affinités biogéographiques exercent une influence régionale voire mondiale.

Notre compréhension des écosystèmes, de l’économie et des populations de la région sera fondée sur de nouvelles mesures du climat, des forêts, des cours d’eau, de la biodiversité, de l’occupation des sols et des systèmes socio-écologiques qu’ont mis en place les populations dans toute la région. Nous désignons collectivement ces nouveaux jeux de données systématiques sous le terme « l’Observatoire régional du Bassin du Congo ». Les mesures porteront sur les grands gradients environnementaux de la région et sur divers niveaux de perturbation anthropique, et engloberont les principaux types d’utilisation des sols de la région.

Les données extensives seront associées à des mesures plus intensives sur un petit nombre de sites de recherche de référence, qui nous aideront à comprendre plus en détail les mécanismes du système climat-forêt-eau-société en étudiant à la fois des zones pour ainsi dire intactes et des paysages de production socio-écologique exploités de façon plus intensive. En rassemblant notre compréhension mécanique de ces sites de référence et les données de l’Observatoire régional du Bassin du Congo, nous pourrons modéliser certains aspects du système pour permettre aux scientifiques de tester plusieurs pistes politiques et d’imaginer les différents avenirs qui en découleraient pour la région.

Sur le plan technique, nous proposons une collecte de données harmonisée dans l’espace et dans le temps, dont le recueil d’informations plus détaillées sur des sites imbriqués. Il s’agit d’un réseau d’observation hiérarchique avec collecte de données transversales et longitudinales (autrement dit des mesures répétées dans le temps) sur plusieurs sites.

Toutes les données seront en accès libre et gratuit pour accélérer les progrès, en adoptant les bonnes pratiques mises en place dans d’autres régions des tropiques, comme MapBiomas, et en suivant des politiques de données ouvertes, y compris en faisant en sorte que toutes les données soient lisibles par une IA. Les données seront accessibles par le biais de dépôts de données reconnus à l’échelle internationale et indexées sur le site web du CBSI, ou directement sur le site web du CBSI.

Notre travail s’appuiera sur trois décennies d’expérience en intégration des sciences physiques, biogéochimiques, biologiques et socio-écologiques humaines, afin de comprendre les interactions et les impacts de l’humain sur les écosystèmes et inversement, et se nourrira du Programme international géosphère-biosphère et son successeur, Future Earth. Plus précisément, l’objectif est de développer des bases de données et des réseaux de chercheurs pour comprendre les composantes individuelles de ces systèmes complexes, reconnaître et intégrer le rôle central de l’humain dans la modification de l’environnement, et travailler à l’interface science-politique pour coproduire des questions de recherche en vue de maximiser les gains sociétaux.

A. L’Observatoire régional du Bassin du Congo

L’Observatoire régional du Bassin du Congo est constitué d’observations réparties à travers toute la région et réunies en six thèmes et observatoires principaux. À savoir :

  1. Climat – Observatoire du climat du Bassin du Congo.
  2. Hydrologie – Observatoire de l’hydrologie du Bassin du Congo.
  3. Végétation, sols et carbone – Observatoire de la végétation du Bassin du Congo.
  4. Biodiversité – Observatoire de la biodiversité du Bassin du Congo.
  5. Occupation et utilisation des sols – Observatoire de l’occupation et de l’utilisation des sols du Bassin du Congo.
  6. Socio-écologique et économique – Observatoire socio-écologique et économique du Bassin du Congo.

Ces observatoires fourniront les données indispensables pour comprendre l’état actuel de la région et les changements qui se sont produits dans un passé récent, ainsi que des réflexions sur les dynamiques infra-régionales. Certains enjeux importants qui pourraient, en toute logique, relever de plusieurs catégories sont attribués à un observatoire par des experts (par exemple, les conséquences des incendies relèvent de l’occupation et de l’utilisation des sols, car la plupart des incendies sont d’origine anthropique).

Ces jeux de données extensifs capitaliseront sur les réseaux existants d’observations de terrain et obtenues par télédétection, afin de mettre à profit les données historiques, les connaissances scientifiques et la compréhension des données récemment collectées et de les replacer à plus long terme. L’objectif est de créer des Observatoires permanents produisant des bases de données de qualité qui soient standardisées, contrôlées, en libre accès et disponibles gratuitement sur une plateforme intégrée en facilitant l’utilisation. Nous allons semi-automatiser la collecte et le traitement des données pour tous les observatoires, afin de réduire les coûts récurrents.

S’il y a lieu, nous collecterons des données cohérentes avec les données issues d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est en vue de produire des comparaisons transcontinentales et de nouvelles réflexions. Si possible, les jeux de données seront contre-validés, notamment à l’aide des données obtenues par télédétection.

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Observatoire du climat du Bassin du Congo

L’Observatoire du climat du Bassin du Congo réalisera le suivi d’au moins 50 sites à travers la région, de façon à générer des données bioclimatiques et météorologiques (température, précipitations, etc.) transmises, cohérentes et contrôlées en termes de qualité, en lien direct avec les forêts, la biodiversité et l’agriculture (humidité, rayonnement net, évapotranspiration, etc.). Cet observatoire inclura également des mesures de la qualité de l’air et, notamment, du noir de carbone, en raison de leur impact sur la santé humaine. Nous pourrons ainsi mieux comprendre le climat de la région et modéliser plus finement son climat futur. Ces sites serviront de référence pour étalonner et valider les mesures par satellite de paramètres climatiques locaux, afin d’améliorer les mesures par satellite à l’échelle du bassin.

L’Observatoire du climat du Bassin du Congo capitalisera sur les travaux nationaux, et notamment sur les atouts des études réalisées au Cameroun dans ce domaine, sur les données climatiques en cours de collecte et transmises à l’ Organisation météorologique mondiale, sur les travaux panafricains et notamment ceux du TAHMO (Trans-African Hydro-Meteorological Observatory), et intégrera les stations météo indépendantes qui existent déjà sur le terrain, par exemple à Lopé (Gabon) et Yangambi (RDC), tout en étoffant le réseau avec de nouveaux sites pour améliorer et équilibrer l’échantillonnage à travers la région.

L’Observatoire du Climat du Bassin du Congo aidera à comprendre la variabilité climatique à travers la région, notamment les canicules, les inondations et les sécheresses qui peuvent toucher des dizaines de millions de personnes. De plus, les nouvelles observations feront directement le lien avec l’Observatoire de la végétation du Bassin du Congo pour que nous puissions, par exemple, déterminer si le rôle de puits de carbone des forêts, un service écosystémique de grande valeur dont dépendent les pays à fortes émissions pour honorer leurs engagements de neutralité carbone, est appelé à se renforcer, rester stable ou décliner.

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Observatoire de l’hydrologie du Bassin du Congo

L’Observatoire de l’hydrologie du Bassin du Congo installera et gérera des débitmètres sur des petits et grands cours d’eau, et intégrera les mesures existantes issues du Congo Basin Catchment Information System, qui dispose de stations à proximité de Kisangani, Zinga/Bangui, Ouesso, Kutumuke, Mbandaka (Ruki) et Kinshasa/Brazzaville. Le but est de mieux comprendre le volet climat-eau du système. Le suivi continu du débit des cours d’eau et du transport de sédiments vers et hors de la Cuvette centrale aidera à déterminer les besoins en eau pour conserver les tourbières et les autres écosystèmes d’eau douce.

Des mesures de surface et souterraines seront effectuées, dont l’étendue de l’eau de surface, la profondeur des nappes phréatiques et les volumes de stockage d’eau, car ces éléments sont cruciaux pour comprendre et évaluer les répercussions des initiatives actuelles et futures de gestion et de modification du bassin versant. Les mesures du transport et du flux de carbone par les cours d’eau constituent un aspect essentiel et souvent négligé du bilan carbone de la région du Bassin du Congo. Pour la première fois, des mesures de terrain localisées de haute précision seront effectuées pour valider et étalonner les données obtenues par télédétection (p. ex. celles issues du modèle SWAT), afin d’extrapoler les mesures obtenues sur certains cours d’eaux aux plus de 100 cours d’eau importants de la région.

Étant donné que de nombreuses communautés sont exposées aux inondations, dont d’importantes populations urbaines, ces données sont essentielles pour évaluer les conséquences du changement climatique et pour élaborer de solides plans d’adaptation à celui-ci. Ces données permettront également d’évaluer minutieusement les grands changements proposés dans la région, tels que la construction de barrages hydroélectriques.

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Observatoire de la végétation du Bassin du Congo

L’Observatoire de la végétation du Bassin du Congo consistera à faire un suivi sur le long terme de la végétation sur au moins 1 000 sites à travers la région, avec un suivi des sols et du CO2. Cet observatoire s’appuiera sur les 400 sites de l’African Tropical Rainforest Observatory Network (AfriTRON), du Central African Plot Network et d’autres sites : forêts intactes, exploitées, touchées par un incendie, en cours de régénération ou secondaires.

Nous voulons étendre le suivi à des types de végétation spécifiques dont les tourbières forestières, les bois et les savanes, comme à Lopé. Nous voulons également collecter des données sur les sols sur le terrain et effectuer des mesures de l’humidité des sols sur les sites où il a des mesures climatiques, afin de mieux comprendre le volet climat-végétation du système. Des mesures de terrain localisées de haute précision seront réalisées pour valider et étalonner les données obtenues par télédétection (p. ex. à l’aide de BIOMASS), afin de mieux extrapoler les flux de biomasse et de carbone à l’échelle de la région.

L’association des données de l’Observatoire de la végétation et de l’Observatoire de l’occupation et de l’utilisation des sols permettra de quantifier les fuites de carbone dues à la déforestation et à la dégradation des forêts, l’absorption du carbone par les forêts intactes et en cours de régénération, ainsi que les stocks de carbone globaux et les puits et sources de carbone de la région ; autant de données essentielles pour comprendre l’évolution du changement climatique.

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Observatoire de la biodiversité du Bassin du Congo

L’Observatoire de la biodiversité du Bassin du Congo surveillera certains groupes du Bassin du Congo, qui compte environ un million d’espèces, sur les sites où nous collecterons également des données sur le climat, la végétation et les sols. Le suivi de la biodiversité repose sur des bases de données taxonomiques de référence de qualité. Nous proposons de constituer des collections régionales de référence de vertébrés, de certains invertébrés et de certaines plantes, grâce au renforcement des institutions existantes. Une base de données régionale compilant les sites où sont présentes/absentes les espèces sera créée, afin de produire des modèles de distribution des espèces et de prédire leur réponse aux changements anthropiques et climatiques.

Le suivi longitudinal consistera en un suivi intégré des éléphants qui s’appuiera sur un suivi ADN, afin de réduire les coûts et d’améliorer la précision, des pièges photo avec des appareils à matrice de capteurs pour les grands mammifères, des captures d’animaux vivants pour les petits mammifères, des relevés ornithologiques classiques et de nouvelles techniques telles que le suivi acoustique pour les amphibiens. Pour les invertébrés, les odonates constituent un groupe d’insectes relativement bien connu et docile, propice à un suivi. Pour les systèmes d’eau douce, les relevés ichtyologiques sont essentiels, d’autant que les poissons constituent une source d’alimentation importante dans la région et revêtent donc une grande importance économique. En outre, des données sur les taux de prélèvement cynégétique et d’exploitation aideront à mieux comprendre l’intensité de la pression de chasse ainsi qu’à éclairer les stratégies de gestion de la faune, notamment pour les espèces endémiques. Nous testerons également d’autres technologies novatrices, telles que le code-barres ADN pour la diversité microbienne et fongique, ainsi que des initiatives de science participative (suivi de la biodiversité par les populations locales).

Le suivi de la biodiversité nous aidera à comprendre les répercussions de l’évolution de l’utilisation des sols (p. ex. l’exploitation forestière) et de certaines menaces plus diffuses, comme la hausse des températures qui touche l’ensemble du bassin. Nous ferons également le lien entre notre suivi et d’autres programmes portant sur l’émergence de maladies infectieuses d’origine animale (zoonoses), notamment le PREZODE (Preventing ZOonotic Disease Emergence), pour mettre en garde la société sur l’évolution possible de ces risques en fonction de l’utilisation des sols et du changement climatique, afin d’éviter de nouvelles pandémies.

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Observatoire de l’occupation et de l’utilisation des sols du Bassin du Congo

L’Observatoire de l’occupation et de l’utilisation des sols du Bassin du Congo s’appuiera sur des données obtenues par télédétection, ainsi que sur les données des Observatoires de la végétation et du climat. Étant donné l’absence de chiffres faciles d’accès et communément acceptés sur la superficie forestière, l’étendue de la déforestation, les stocks de carbone des écosystèmes ou les flux de carbone liés à la déforestation, à la dégradation ou à la régénération des forêts du Bassin du Congo, l’Observatoire de l’occupation et de l’utilisation des sols aura pour objectif principal de réaliser des estimations de ces chiffres obtenues par télédétection et par voie de consensus. Plus précisément, nous comptons produire des classifications annuelles standardisées de l’occupation et de l’utilisation des sols de la région, en nous appuyant sur la méthodologie éprouvée du réseau MapBiomas utilisée au Brésil, ainsi que sur l’attribution de changements dans l’occupation des sols aux utilisations des sols, comme la culture sur brûlis. L’association de ces données et de celles issues de l’Observatoire de la végétation du Bassin du Congo débouchera ainsi sur des évaluations de pointe des flux de carbone.

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Observatoire socio-écologique et économique du Bassin du Congo

Enfin, l’ Observatoire socio-écologique et économique du Bassin du Congo abordera la dimension humaine, souvent négligée, en produisant des données transmises, cohérentes et contrôlées en termes de qualité sur le revenu des ménages, la nutrition, la santé, les interactions entre l’humain et les ressources naturelles, la valeur qui est accordée à ces dernières et l’utilisation qui en est faite. Il s’appuiera sur des jeux de données existants et délaissés, dont des enquêtes démographiques et de santé et des programmes menés à l’échelle individuelle ou du foyer (microdonnées, le but étant de produire de nouvelles données sur les interactions entre l’humain et les ressources naturelles (notamment forestières et agricoles), la valeur accordée à ces ressources et l’utilisation qui en est faite, car ce lien avec l’environnement est souvent absent des collectes de données socio-économiques existantes, alors qu’il est essentiel pour comprendre le Bassin du Congo et son avenir.

L’Observatoire régional du Bassin du Congo et ses six observatoires constitutifs confiera la collecte et l’analyse de données à des scientifiques régionaux dans le cadre du Plan de renforcement des capacités (voir ci-dessous). Chacun y gagnera : nous comprendrons mieux le Bassin du Congo grâce à la collecte de données de qualité, tout en formant une nouvelle génération de scientifiques éminents.

Plus d’informations sur les principales données qui seront collectées dans le cadre des six Observatoires du climat, de la végétation, de l’hydrologie, de la biodiversité, de l’occupation et de l’utilisation des sols, et socio-écologique et économique, sont disponibles auprès du secrétariat du CBSI. Nous publierons prochainement, dans une revue scientifique, des plans plus détaillés pour chaque observatoire, dans lesquels nous préciserons aussi leurs interactions. Si vous souhaitez participer, merci de contacter le secrétariat du CBSI.

B. Mesures intensives

Les mesures extensives de l’Observatoire régional du Bassin du Congo sont complétées par des observations et des expériences plus détaillées à l’échelle du paysage, afin de comprendre les mécanismes du système climat-forêt-eau-société. Cette compréhension est nécessaire pour représenter sous forme de modèles mathématiques certaines composantes du système. Ces modèles serviront à réaliser des prédictions quant aux avenirs possibles de la région.

Il nous faut aussi des modèles pour porter des messages, aux niveaux spatial et temporel, qui trouvent un écho parmi la population et qui peuvent être différents des données que nous collectons. Par exemple, les températures extrêmes mesurées à l’aide de caméras infrarouge peuvent nuire à la photosynthèse des arbres, mesurée à chaque seconde sur des sites intensifs, mais seulement pour certaines feuilles et à certains moments. Pour en estimer l’impact sur, par exemple, le puits de carbone des forêts, il nous faut des modèles qui extrapolent nos observations à partir de feuilles individuelles à l’ensemble du Bassin du Congo, et, dans le même ordre d’idée, nos observations à partir de données sur une seconde à l’échelle de plusieurs décennies.

Ce programme de mesures intensives repose avant tout sur la collecte de données biophysiques, biogéochimiques, socio-écologiques et économiques détaillées sur un petit nombre de paysages de recherche de référence sur le long terme. Ces sites seront répartis dans tous les grands pays du Bassin du Congo et seront associés à divers types d’occupation des sols et de plans de gestion. À titre d’exemple, certains sites permettront de comparer des forêts intactes et exploitées de façon sélective, et d’autres, la petite agriculture vivrière et l’agro-industrie commerciale à grande échelle. Nous nous appuierons sur les sites existants pour lesquels il existe déjà des moyens de recherche et des infrastructures, et les compléterons avec de nouveaux sites pour équilibrer l’échantillonnage à travers la région, afin de produire des jeux de données standardisés et à la qualité contrôlée qui soient en libre accès et simples à utiliser. Ces sites fonctionneront comme des « laboratoires vivants », qui nous permettront de recueillir des informations détaillées sur ces paysages.

Tous les sites paysagers de référence relèveront de l’Observatoire régional du Bassin du Congo, dans le cadre de notre structure hiérarchique imbriquée, mais seront complétés par des mesures supplémentaires plus détaillées. Nous ajouterons, par exemple, des relevés météorologiques en haute altitude pour compléter les relevés de surface effectués dans le cadre de l’Observatoire du climat. De même, nous ajouterons une tour à flux pour mesurer la covariance des turbulences sur chaque site intensif, afin de compléter les jeux de données d’inventaire collectés dans le cadre de l’Observatoire de la végétation, pour mieux comprendre les flux de carbone dans les forêts. Enfin, des mesures complémentaires en temps réel du transport du carbone et des flux fluviaux du carbone, de l’oxygène, du pH et d’autres relevés compléteront les mesures extensives de l’Observatoire de l’hydrologie.

Les autres données sociales, culturelles et économiques aideront à comprendre les dynamiques à l’œuvre au niveau des paysages et de la société : dépendance des moyens de subsistance aux ressources naturelles, accès aux ressources naturelles, gestion des ressources naturelles et interactions avec les autres utilisateurs de ces ressources, comme les détenteurs de permis d’exploitation à grande échelle (p. ex. les compagnies forestières). Ces données nous aideront à comprendre les obstacles à l’amélioration des moyens de subsistance et les opportunités à cet égard, ainsi qu’à estimer l’impact de l’évolution future du système climat-forêt-eau-société sur les communautés locales.

Si de meilleures pratiques de gestion sont constatées dans la région (p. ex. une exploitation forestière plus raisonnée, des pratiques agricoles à meilleur rendement), nous ciblerons les sites concernés pour y réaliser nos mesures intensives standardisées afin de comprendre leurs répercussions sur le paysage global et sur les dynamiques sociales au sens large. Cette nouvelle compréhension nous aidera également à mieux modéliser les scénarios futurs.

Plus d’informations sur les paysages candidats pour servir de sites de référence et sur les principales données biophysiques et socio-économiques à collecter sont disponibles auprès du secrétariat du CBSI.

Crédit image : Molly Bergen/WCS, WWF, WRI.

Les différents avenirs possibles pour le Bassin du Congo

Des modèles interdisciplinaires étudiant les différents avenirs potentiels pour la région (on parle parfois de « planification de scénarios ») se pencheront sur les options politiques, conçues par des conseillers politiques en collaboration avec la société civile, notamment pour aborder les répercussions de la planification de l’utilisation des sols, les paiements pour services écosystémiques, ainsi que des réformes politiques spécifiques, telles qu’une réglementation n’autorisant qu’une exploitation forestière à faible impact. Les responsables politiques ont fortement besoin de modèles à haute résolution, qui font pour l’heure défaut en ce qui concerne le Bassin du Congo.

De ces modèles peuvent aussi découler des mises en garde anticipées, par exemple en identifiant les conditions propices à des conflits violents à mesure qu’évoluent la disponibilité des ressources naturelles et d’autres dynamiques du fait du changement climatique. Ces mises en garde permettront de mener des interventions en temps opportun pour éviter les facteurs de déstabilisation de la région et de ses habitants.

D’autres options politiques plus ambitieuses pourront aussi être abordées, comme la mise en œuvre d’ensembles de mesures visant à passer à une économie plus verte, voire à créer une bioéconomie, le but étant de réfléchir à des pistes de développement ne s’accompagnant pas de destructions et d’éclairer la prise de décisions politiques et d’actions aux échelons local, national, régional et mondial.

Développer les applications des sciences

La science a un rôle important à jouer. Elle permet à la société de mieux comprendre le présent, et de faire des prédictions quant à l’avenir. Les enjeux sont considérables : le sort de millions de personnes, d’un réservoir de biodiversité d’importance mondiale et de la deuxième plus grande forêt humide au monde est en jeu. En l’absence de données, les décideurs sont confrontés à un défi quasi impossible à relever, car comment pourraient-ils éviter de grands dangers s’ils en ignorent l’existence ?

Le CBSI s’engage à développer les applications et l’impact des sciences, en misant sur leur diffusion à grande échelle et leur intégration aux processus décisionnels. Nos données et analyses renforceront et contribueront à l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale (OFAC), la branche technique et scientifique de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC). La COMIFAC encourage la convergence régionale aux fins d’une meilleure gestion des forêts d’Afrique centrale, en tant qu’organe de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) chargé des forêts et de l’environnement. Le CBSI étant un organisme de recherche, les données apportées à l’OFAC le seront via le Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo (PFBC), dont le CBSI est membre.

Nous recommandons d’investir dans des Bourses CBSI d’interface science-politique (Science-Policy Interface Fellowships) : pendant les cinq années que dure le programme, le chercheur boursier siège au sein d’un ministère concerné (p. ex. le ministère de l’Environnement) et traduit les connaissances scientifiques en un savoir pratique et opérationnel à l’adresse des décideurs et de leurs conseillers. Ces boursiers transforment un savoir scientifique complexe en actions politiques.

Les conclusions seront également présentées à l’occasion des réunions scientifiques annuelles du CBSI organisées dans la région (voir ci-dessous) et de forums nationaux, afin d’encourager un dialogue sciences-politique plus fécond dans la région. Nous espérons qu’avec le temps, grâce au nombre de scientifiques formés et à la facilité d’accès aux données et aux analyses, les décisions prises sur la gestion des écosystèmes d’Afrique centrale s’appuieront systématiquement sur de solides connaissances scientifiques.

Aperçu du plan de renforcement des capacités

Le CBSI renforcera les capacités scientifiques en consolidant les partenariats existants et en en forgeant de nouveaux, le but étant d’encourager, en répondant aux besoins propres à la région, les investissements sur le long terme dans les capacités institutionnelles, y compris dans la formation des scientifiques et le développement de meilleurs parcours professionnels pour les chercheurs d’Afrique centrale d’aujourd’hui et de demain. Les chercheurs de la région ont identifié les obstacles qui empêchent de former davantage d’étudiants, de retenir davantage de chercheurs et de permettre aux universitaires établis de réaliser des analyses de recherches plus percutantes.

1. Former les scientifiques

Notre objectif global est de former des centaines d’étudiants à travers la région, jusqu’au niveau master ou doctorat, afin d’en faire des experts dans leur domaine. Ces étudiants co-signeront leurs recherches, collecteront les données et les analyseront dans le cadre du Plan de science. Chacun y gagnera : nous comprendrons mieux le Bassin du Congo, tout en formant une nouvelle génération de scientifiques éminents. Le CBSI se concentrera sur l’obtention de fonds pour former des centaines d’étudiants de diverses manières : formations dans les pays du Nord, « doctorat sandwich » avec du temps passé dans deux pays, doctorat local avec accompagnement international, etc. La formation d’étudiants est le socle du programme de renforcement des capacités.

Les bailleurs devraient systématiquement inclure des investissements dans le renforcement des capacités et contribuer activement à promouvoir l’inclusion des femmes et des peuples autochtones. Pour les universités des pays du Nord et leurs organes de financement, cela signifie financer la formation d’étudiants en master et en doctorat, y compris dans des centres d’excellence dans la région. La suppression des frais d’inscription aux universités des pays du Nord pour les étudiants d’Afrique centrale permettrait également de lever un des obstacles à leur formation.

La formation doit comporter un important volet consacré aux compétences transférables et scientifiques générales (statistique avancée, rédaction d’articles scientifiques, calcul scientifique). Une plateforme d’apprentissage commune, contenant des supports propices à la bonne transmission du savoir, peut aider les petits groupes d’experts à former davantage d’étudiants.

Pour les bailleurs de programmes de collecte et d’analyse de données scientifiques, ces programmes doivent prévoir des clauses sur la prestation de formations, et être assortis de financements en conséquence. Ils doivent aussi financer la formation et le matériel nécessaires pour que les scientifiques de la région puissent réitérer ou développer toutes les activités techniques après l’extinction des financements externes. Les pays du Bassin du Congo pourraient rendre le financement de cette formation obligatoire pour les bailleurs et chercheurs étrangers souhaitant accéder aux sites sur le terrain.

Pour les étudiants qui étudient dans la région, une mesure très rentable consiste à accorder une bourse aux étudiants de master et de doctorat locaux pour qu’ils puissent se concentrer exclusivement sur leurs études. Cette aide pourrait être accordée par les gouvernements des pays du Bassin du Congo. Ces projets peuvent tisser des liens avec les universités des pays du Nord à travers l’encadrement conjoint des étudiants ou, dans l’optique d’encourager la mobilité et l’intégration régionales, l’encadrement conjoint des étudiants dans différents pays du Bassin du Congo. Il pourrait également être intéressant de proposer des cursus courts, notamment à l’étranger, pour faciliter la formation et encourager les séjours dans les institutions partenaires.

De même, les scientifiques de la région ont formulé une modeste demande qui pourrait rapidement démultiplier les capacités existantes : l’idée serait que les chercheurs et étudiants de la région aient accès à un fonds, auquel ils pourraient faire appel rapidement et facilement pour demander de petits financements en vue de collecter des données de terrain, d’acheter du matériel ou de séjourner dans une autre institution pour y apprendre une compétence ou réaliser une analyse. Ceci permettrait aux chercheurs d’Afrique centrale de produire des connaissances scientifiques de façon autonome, sans être contraints de ne participer qu’à des projets financés et gérés par les pays du Nord.

À l’instar du Plan de Science, nous nous appuierons sur les programmes de formation existants, et notamment sur le Réseau des Institutions de Formation Forestière et Environnementale de l’Afrique Centrale (RIFFEAC), qui rassemble vingt-trois institutions, et sur le Réseau de recherche sur les forêts d’Afrique centrale (R2FAC), qui réunit douze universités régionales et partenaires internationaux.

Crédit image : Jean-Grégoire Kayoum/Vulcar Fate, Belmont Forum.

2. Mobilité des chercheurs, intégration régionale et décloisonnement

Des réunions scientifiques du réseau du CBSI se tiendront chaque année dans la région du Bassin du Congo et seront l’occasion de présenter les résultats à d’autres scientifiques, à des conseillers politiques et à la société civile. Ces réunions permettront de lever les obstacles à la coopération entre les scientifiques d’Afrique centrale, d’améliorer la mobilité des chercheurs, de promouvoir le mentorat, d’encourager la collaboration transdisciplinaire, de réaliser des synthèses de plusieurs disciplines et de diffuser les bonnes pratiques scientifiques. Elles permettront également d’évaluer les besoins supplémentaires de la région en matière d’observations, d’échantillons et de formations, et d’affiner chaque année le Plan de science du CBSI ainsi que son Plan de renforcement des capacités.

Les réunions annuelles du CBSI pourraient également être l’occasion d’organiser d’autres activités. Elles pourraient être précédées d’une conférence réunissant les chercheurs du CBSI en début de carrière (master, doctorat, post-doctorat), qui permettrait à la nouvelle génération de chercheurs de s’organiser, d’identifier leurs besoins et de les aborder lors de la réunion du CBSI. Des ateliers spécifiques (p. ex. sur le développement professionnel) ou des écoles de terrain et autres visites de terrain pourraient être organisés pour que les participants puissent découvrir une autre partie de la région, et ainsi mettre à profit au maximum leur voyage jusqu’au lieu de la réunion du CBSI. Nous pourrions d’ailleurs tirer parti de l’expérience des programmes de santé mondiaux en la matière.

La réunion annuelle sera l’occasion de décerner les prix du CBSI, accompagnés de modestes sommes d’argent. Un prix pour la meilleure publication dirigée par un étudiant dans plusieurs disciplines, ou encore un prix pour la meilleure communication scientifique destinée à un large public y seront décernés, par exemple. Cela permettra d’impliquer à la fois les scientifiques chevronnés, qui seront les jurés, et les chercheurs en début de carrière. Autre avantage non négligeable, les réunions annuelles du CBSI et les activités connexes donneront aux chercheurs d’Afrique centrale étudiant la région du Bassin du Congo le sentiment de contribuer à un objectif commun et de faire partie d’une même communauté.

3. Investir dans des universités et instituts centrés sur la recherche

Le CBSI recommande de concentrer les investissements dans des universités et instituts régionaux centrés sur la recherche, car ils ont fait leurs preuves. Ces investissements doivent financer des groupes de recherche leur permettant de faire encore davantage de recherches, ainsi que des postes attractifs et prestigieux dans les universités d’Afrique centrale pour les chercheurs de la région.

Des investissements sont nécessaires pour les post-doctorants, car ces derniers pâtissent d’un manque d’opportunités de recherche dans les universités d’Afrique centrale. Il est primordial de surmonter cet obstacle. Le CBSI accordera des Bourses aux futurs chercheurs de pointe (Future Leaders Fellowships), qui financeront 5 années de salaire et une partie de leurs travaux de recherche et de développement, le but étant de permettre aux chercheurs les plus talentueux d’Afrique centrale de continuer activement leurs recherches à la fin de leur doctorat. Les chercheurs africains les plus doués pourront ainsi poursuivre leur carrière une fois leur formation doctorante terminée.

Du côté des maîtres de conférence et des professeurs, deux grands obstacles entravent la production scientifique. Premièrement, les bas salaires contraignent des chercheurs de talent à émigrer, à quitter le milieu universitaire (souvent pour travailler dans une ONG), ou à proposer des services privés de consultant au détriment de leur production scientifique. Deuxièmement, le manque de temps (en raison du temps passé à faire cours à de nombreux étudiants), de fonds pour la recherche et d’installations propices à la production d’excellents travaux de recherche pose lui aussi problème. Le CBSI délivrera aux universités des Bourses pour les enseignants-chercheurs (Research Professor Fellowships) sur cinq ans, afin de réduire leur charge d’enseignement, d’améliorer leur salaire (en accord avec les universités), de financer des installations de recherche essentielles ainsi qu’un petit groupe de recherche (deux étudiants en doctorat et un chercheur post-doctorant), dans l’optique de produire des analyses cruciales dans le cadre du Plan de science. Les chercheurs les plus chevronnés et compétents pourront ainsi produire des travaux de recherche de calibre mondial.

Les universités de la région les plus centrées sur la recherche, et donc les mieux placées pour recevoir les Bourses du CBSI pour les futurs chercheurs de pointe et pour les enseignants-chercheurs, ainsi que des bourses de recherche pour les post-doctorants, sont l’Université de Yaoundé I, l’Université de Dschang, l’Université de Buea (Cameroun) ; l’Université de Kinshasa, l’Université de Lubumbashi et l’Université de Kisangani (RDC) ; l’Université Marien Ngouabi à Brazzaville et l’Institut national de Recherche Forestière (IRF) (République du Congo) ; le CENAREST, l’Institut de Recherche en Écologie Tropicale (IRET) et l’Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM) à Franceville (Gabon) ; l’Université de Bangui (République centrafricaine), ainsi que des institutions qui conservent des herbiers et des collections zoologiques essentiels au suivi et à la compréhension de la biodiversité.

Crédit image : CRREBaC/CRuHM

4. Investir dans des centres d’excellence

Il est important d’investir massivement dans des centres d’excellence ayant les moyens suffisants pour dispenser des formations et renforcer les capacités de recherche. Ces centres d’excellence doivent être dotés de tous les outils nécessaires à la production de recherches fécondes et de qualité : bureaux et laboratoires tout équipés, Internet haut débit, logiciels indispensables et abonnements à des bibliothèques. Les centres d’excellence formeront des étudiants de toute la région et du monde entier, afin d’encourager la mobilité et de tisser des liens au sein de la région et avec le reste du monde.

Chacun des pays du Bassin du Congo produisant le plus de recherches (RDC, Gabon, Cameroun et République du Congo) devra compter au moins un centre d’excellence. Ces centres devront s’appuyer sur les atouts existants et, dans l’idéal, il y aura un centre d’excellence grossièrement spécialisé dans chacun des six observatoires (centres d’excellence pour le climat, l’hydrologie, la végétation et les sols, la biodiversité, l’occupation et l’utilisation des sols, et socio-écologique et économique). Ceci permettra d’encourager la mise en commun de ressources et la mobilité des chercheurs, tout en évitant les doublons.

Les centres d’excellence dépendront de financements et s’appuieront sur les atouts existants des différents pays. Leurs travaux feront écho aux besoins globaux de la région. À titre d’exemple, le Centre en biogéosciences de l’environnement, qui doit ouvrir en 2025 à Yaoundé (Cameroun), est le fruit d’un partenariat entre le ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun et l’Institut de Recherche pour le Développement de la France. Son but est de renforcer les capacités scientifiques en matière de cycles biogéochimiques à des fins de développement économique. Un Institut de recherche sur les tourbières est également en gestation à Brazzaville (République du Congo) et a besoin de financements pour capitaliser sur les atouts nationaux existants.

Rôle du CBSI

Faisant suite à un plaidoyer lancé par les ministres de l’Environnement d’Afrique centrale, une réunion scientifique sur le Bassin du Congo organisée à Libreville en février 2023 a soutenu la création du CBSI. Le lancement officiel du CBSI a été acté en octobre 2023 lors du Sommet des trois bassins. Le CBSI a pour rôle de formuler des plans de recherche et de renforcement des capacités issus d’un consensus parmi la grande communauté des chercheurs actifs. Ainsi, de nombreux bailleurs, chercheurs et institutions de recherche différents pourront contribuer à une meilleure compréhension du Bassin du Congo, tout en renforçant les capacités scientifiques de la région. Le CBSI joue le rôle de catalyseur en orientant davantage d’investissements dans la région, et n’est donc pas un détenteur de fonds majeur.

Synthèse des recherches existantes

La réunion scientifique sur le Bassin du Congo qui s’est tenue à Libreville qui a débouché sur la création de l’Initiative Science pour le Bassin du Congo a également convenu de la création du Panel Scientifique pour le Bassin du Congo. Cette plateforme indépendante mais parallèle doit permettre aux scientifiques de la région d’effectuer une synthèse pluridisciplinaire et exhaustive de référence sur l’état actuel des connaissances scientifiques en lien avec le Bassin du Congo, ses écosystèmes et les difficultés qu’il rencontre. Le Panel publiera un premier rapport d’évaluation d’ici fin 2025, et travaillera en étroite coordination avec le CBSI et ses activités tout au long du processus.

Le Panel Scientifique pour le Bassin du Congo est une plateforme permettant aux scientifiques de synthétiser les connaissances existantes et d’identifier les lacunes dans les données, dans les analyses et dans la compréhension du bassin. L’ Initiative Science pour le Bassin du Congo est une plateforme conçue pour trouver les investissements nécessaires pour combler ces lacunes en collectant de nouvelles données, en produisant de nouvelles analyses et en formant des scientifiques à cette fin.

Les bourses étudiantes, les bourses pour chercheurs, les subventions et les aides se feront sur concours ouvert, assorties de règles claires et dépourvues de lourdeurs administratives. Le CBSI travaillera en français et en anglais. La plupart des pays du Bassin du Congo sont francophones, mais l’anglais est la langue de référence dans le domaine des sciences, car toutes les grandes revues scientifiques sont publiées en anglais.

L’Initiative Science pour le Bassin du Congo encouragera la science ouverte en veillant à ce que l’ensemble des données collectées et des supports de formation conçus dans le cadre du CBSI soient en accès libre. Les données et les supports seront stockés dans un dépôt de données reconnu au niveau international et indexés sur le site web du CBSI, ou directement sur le site web du CBSI. Nous veillerons à ce que les différents jeux de données soient faciles à assembler, et aussi simples que possible à utiliser. Tous les projets du CBSI archiveront les données, les codes types et les autres documents nécessaires à la reproduction indépendante des résultats. Nous publierons dans des revues à comité de lecture en accès libre, ou des versions en accès libre sur notre site web, afin que tous les résultats soient accessibles dans les pays du Bassin du Congo.

Le CBSI est géré par un Comité de pilotage scientifique constitué de 22 scientifiques de renom issus des pays du Bassin du Congo, à savoir le Gabon, le Cameroun, la RDC, la République du Congo, la Guinée équatoriale et la République centrafricaine, et d’experts internationaux, dont ceux ayant participé au programme révolutionnaire de l’Expérience à grande échelle sur la biosphère et l’atmosphère en Amazonie (LBA). Ce sont des spécialistes du climat, des forêts, de la faune, du carbone, de l’eau, des sols, des sciences sociales et du renforcement des capacités. Ce document de réflexion a reçu les contributions d’une centaine de scientifiques, suite à sa diffusion auprès des chercheurs qui avaient publié au cours des cinq dernières années dans une revue à comité de lecture sur un aspect ou un autre du Bassin du Congo.

Le comité est co-présidé par le professeur Raphaël Tshimanga, directeur, Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo, Université de Kinshasa, RDC, et le professeur Simon Lewis, titulaire de la chaire sur les changements mondiaux, Université de Leeds et University College London, Royaume-Uni.

Les vingt autres membres sont le

  • Dr Wilfried Pokam Mba, maître de conférences, Université de Yaoundé, Cameroun ;
  • la professeure Lucie Temgoua, maître de conférences, Université de Dschang, Cameroun ;
  • le professeur Cyriaque-Rufin Nguimalet, maître de conférences principal, Université de Bangui, République centrafricaine ;
  • la Dr Lydie-Stella Koutika, directrice, Centre de Recherche sur la Durabilité et la Productivité des Plantations Industrielles (CRDPI), République du Congo ;
  • le professeur Jean Joël Loumeto, enseignant, Université Marien N’GOUABI, République du Congo ;
  • M. Teodyl Nkuintchua, Congo Basin Strategy and Engagement Leader, World Resources Institute Africa, République du Congo ;
  • le professeur Michel Bisa Kibul, enseignant de géographie politique et sciences politiques, Université de Kinshasa, République démocratique du Congo ;
  • le professeur Corneille Ewango, enseignant, Université de Kisangani, République démocratique du Congo ;
  • le professeur Bila-Isia Inogwabini, enseignant-chercheur à l’Université suédoise de sciences agricoles, Suède ; Université catholique du Congo, République démocratique du Congo ;
  • le professeur Maximiliano Fero Meñe, directeur de recherche et enseignant, Université nationale de Guinée équatoriale, Guinée équatoriale ;
  • M. Gaspard Abitsi, directeur pays, programme pour le Gabon de la Wildlife Conservation Society (WCS), Gabon ;
  • le professeur Alfred Ngomanda, Commissaire Général, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CENAREST) du Gabon ;
  • le Dr Georges-Noël Longandjo, chercheur associé, Université du Cap, Afrique du Sud et maître de conférences principal, Institut Supérieur des Techniques Appliquées (ISTA), République démocratique du Congo ;
  • le professeur Carlos Nobre, co-président, Science Panel for the Amazon, professeur en sciences du système Terre, Université de São Paulo, Brésil ;
  • le Dr Gilvan Sampaio De Oliveira, coordinateur général des sciences de la Terre, Institut national de la recherche spatiale (INPE), Brésil ;
  • le Dr Jean-Jacques Braun, Senior Scientist / directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD), France ;
  • le Dr Symphorien Ongolo, chercheur associé, Institut de recherche pour le développement (IRD), France ;
  • la professeure Nicola (Nicky) Anthony, enseignante, Université de la Nouvelle-Orléans, États-Unis ;
  • le Dr Michael Keller, Research Physical Scientist, USDA Forest Service, International Institute of Tropical Forestry, États-Unis ;
  • Mme Emma Torres, vice-présidente pour les Amériques, Sustainable Solutions Development Network (SDSN), New York, États-Unis.

Le site web du CBSI présente de courtes biographies des membres du Comité de pilotage scientifique.

Contacter le secrétariat : info@congobasinscience.net

Contacter les co-présidents : raphael.tshimanga@unikin.ac.cd ; s.l.lewis@leeds.ac.uk

Notes de bas de page

  1. Ajustés pour l’inflation, la LBA ayant débuté en 1988 et comprenant des contributions des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni et du Brésil. ↩︎
  2. Cette réunion a également accouché d’un Groupe d’experts scientifiques pour le Bassin du Congo, une plateforme indépendante mais parallèle qui doit permettre aux scientifiques de la région de réaliser une synthèse pluridisciplinaire et exhaustive de référence sur l’état actuel des connaissances scientifiques en lien avec le Bassin du Congo, ses écosystèmes et les difficultés qu’il rencontre. Ce Groupe d’experts publiera un premier rapport d’évaluation d’ici fin 2025, et travaillera en étroite coordination avec l’ISBC et ses activités tout au long du processus, l’idée étant de se porter une assistance réciproque. ↩︎